
J’ai toujours aimé ces petites têtes que produisait le peuple Gogodala sans jamais avoir écrit quelques précisions à leur sujet !
De fait, les Gogodala sont méconnus car peu nombreux, habitant une plaine marécageuse en bordure de la rivière Aramia dans la partie occidentale du Golfe de Papouasie qui se situe bien à l’ouest des régions célèbres pour leur art des planches votives. Périodiquement inondées, leurs terres ressemblent à « une mer avec des îles ». La pirogue est donc le moyen privilégié de déplacement dans la région et, depuis fort longtemps, les canoës de course ont été un des principaux supports de l’expression artistique. De nos jours, les festivals de canoë de Gogodala, sont devenus des évènements importants pour la région qui tentent aussi d’attirer des touristes par ces fêtes. Entre 40 et 60 hommes s’alignent dans une pirogue de couleur vive mesurant plus de 30 mètres pour pagayer debout.

Dans le passé, il existait un cycle cérémoniel centré sur les initiations et qui était en rapport avec des ancêtres fondateurs de clan. C’est dans ce contexte qu’étaient réalisées ces petites têtes en bois appelées ganabi qui ornaient parfois de grands masques de forme ovale. Celles-ci sont généralement ornées d’un chapeau conique (diba) semblable à celui porté par les hommes Gogodala.


© TropenMuseum TM-2670-381 et TM-2670-378
La plus ancienne collection dans les musées occidentaux est peut-être celle du Field Museum de Chicago avec les collectes de A.B. Lewis lorsqu’il était sur place au printemps 1912. Ainsi en est-il du masque ci-dessous avec justement la présence d’une petite tête.

On sait également que W. N. Beaver, un lieutenant australien qui a passé dix années comme officier dans la police armée de Papouasie était en pays Girara, c’est-à-dire la zone située entre la Fly River et la Bamu River (voir carte ci-dessous) dans ces années-là. Il est célèbre pour son ouvrage posthume Unexplored New Guinea paru en 1920.
Or dans un article de The Geographical Journal daté d’avril 1914,(vol 43, n°4) : « A description of the Girara District« , la photographie suivante laisserait penser qu’il est impliqué dans la collecte de Lewis au sujet de ce masque étonnant !


Les traditions artistiques ont été mieux connues lorsque dans les années 1970, Anthony Crawford, un anthropologue australien, fut mandaté par le Commonwealth Arts Advisory Board of Australia (CAAB) pour collecter des objets Gogodala pour le compte de la National Gallery of Australia. Ne trouvant que peu de choses, les traditions ayant été abandonnées dans les années 1930 sous l’influence des missionnaires chrétiens, il travailla avec les villageois pour donner une impulsion à un renouveau artistique. On lui doit l’ouvrage Aida : Life and Ceremony of the Gogodala, paru en 1981. (Balthurst National Cultural Council of Papua New Guinea & Robert Brown & Associate) qui apporte des précisions sur le passé.

« La plupart des hommes portent un chapeau conique (diba) en fibre décoré de plumes et peint avec de l’ocre rouge et une peinture blanche à base de chaux … Les cheveux sont rasés en arrière, laissant apparaître un front haut et étroit… Les femmes se couvrent la tête, le visage et la poitrine d’un voile de filet, qui est considéré comme un vêtement de deuil. L’autre vêtement est maigre et consiste en une longue queue d’herbe colorée tissée sur une ceinture de canne tressée, serrée entre les jambes et rentrée dans la ceinture à l’arrière » avait déjà noté W.N. Beaver (photo ci-contre)
Présenté lors de l’initiation, le diba était fixé de façon permanente au sommet de la tête et protégeait le porteur des esprits malveillants, qui étaient censés pénétrer dans le corps par les cheveux.
Avant Crawford, c’est encore Frank Hurley qui a apporté bon nombre de témoignages photographiques sur ces régions du Golfe.

L’une autre caractéristique importante de cette région c’est l’existence d’immenses maisons communautaires. Ce type de maison longue pouvait faire jusqu’à 250 mètres de long et abriter 400 personnes. Ses piliers et les escaliers étaient sculptés et peints, représentant des animaux « totémiques » ou des personnages ancestraux. Lire l‘article de Michael Hirschbichler sur ce sujet.
Le centre culturel Gogodala, inauguré le 29 août 1974 à Balimo fut bâti sur ce modèle, en plus modeste.

Enfin, dans les traces d’Anthony Crawford, le réalisateur Chris Owen s’est rendu à Balimo en 1976, afin de réaliser un film sur le possible phénomène d’une renaissance culturelle Gogodala. On trouvera dans son documentaire les témoignages, entre autres, d’hommes de Balimo et de Crawford. (cf-video ci-dessous)
Il semble que le Centre ait fermé ses portes quelques années plus tard.
Ce phénomène de « renaissance culturelle » (et les Gogodala ne sont pas les seuls dans l’aire océanienne) n’est peut-être pas le symptôme d’une résistance culturelle par laquelle les populations du Pacifique s’opposeraient à la mondialisation. Elle apparaît aux yeux de certains comme la suite logique d’un projet entrepris non pas à l’initiative des populations locales mais à celle des puissances coloniales (ici l’Australie).
Ce point de controverse est le sujet du passionnant article d’Alain Babadzan : « Les ressources de la culture » paru dans la revue Hermès 2013/1, qui conclut :
« Réinvestissant dans son travail de représentation un ensemble de schèmes à la base du discours occidental sur l’art – y compris ceux dont elle poursuit la déconstruction par ailleurs, comme la notion d’« authenticité » –, l’anthropologie postmoderniste célèbre ainsi l’art océanien contemporain comme renaissance artistique, spontanée et subversive, après avoir cautionné les idéologies nationalistes des élites néocoloniales comme renaissance culturelle. Il n’est pas interdit de s’interroger sur cette double continuité : la continuité d’un processus qui – pour le dire d’un mot – mène de la culturisation politisée à l’artification marchande, et la persistance dans le champ universitaire de la posture qui conduit à éviter d’en faire l’analyse« . A.B.
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