À propos

Début d’une interview parue

dans Artkhade THE COLLECTIVE

le 23 janvier 2018

Martine Belliard-Pinard, chercheuse d’humanité

Collectionneurs et amateurs font le monde des arts anciens d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique. Laurent Granier s’intéresse à leurs parcours, aux ressorts psychologiques de leurs passions, à leurs stratégies et à leurs doutes. Il parle avec eux des objets, de leurs histoires et du marché qui les anime.

Tout amateur d’arts premiers qui se respecte connait le blog Détours des mondes, ses centaines de posts fouillés, ses comptes-rendus de visites d’expositions, ses billets doux ou amers et ses bibliographies thématiques. Mais qui connaît réellement Martine Pinard, auteure dudit blog et présidente de l’association éponyme ? Je mourais d’envie d’en savoir plus sur cette femme discrète, avec laquelle j’avais eu l’occasion d’échanger deux ou trois fois au cours de mes recherches, et dont l’ampleur et le sérieux du travail laissaient présager d’une belle rencontre. Rendez-vous est pris pour un petit-déjeuner dominical dans un lieu qu’elle affectionne tout particulièrement : La Maison rouge, à Paris, le 2 avril 2017.

Ce que sont les belles choses

Issue d’une famille modeste où « on travaillait tout le temps », Martine Pinard rêve enfant de conquête spatiale. Fille unique et bonne élève, Martine fait Maths Sup et Maths Spé. La beauté des équations la fascine ; la science sera son ascenseur social. Un DEA en astronomie et une thèse de troisième cycle en mécanique céleste plus tard, Martine s’ennuie en post-doc. « Moi, ce que j’aimais, c’était la beauté des maths. Une belle démonstration doit être stylée. » Elle travaille dans des prépas HEC privées et donne des cours de maths à l’École supérieure de chimie organique et à l’École polytechnique féminine. « Ce mode de fonctionnement me convient, je maîtrise mon emploi du temps.» 

Elle s’inscrit tout de même à la Sorbonne, en philosophie, et y obtient une maîtrise et un DEA. Les sujets des mémoires : Kierkegaard et Conrad. Un grand écart pour « combler un complexe de matheuse » m’avoue-t-elle. Puis, c’est l’enseignement de la philo pendant deux ans dans un lycée en zone prioritaire. « Une expérience humaine enrichissante. Mais très dure : je n’apportais pas la Vérité toute pure comme on peut en avoir la prétention en maths… vanité que de naviguer dans des concepts lorsque la dureté de la vie éprouve déjà les jeunes en face de vous. »

En 2004, un voyage au Chili – pour rendre visite à sa fille qui fait un tour du monde – sera peut-être le déclencheur de sa passion à venir. « J’aime le voyage. Les arts, ça m’intéresse, je n’y connais rien mais je me dis que je pourrais peut-être monter une petite structure et vendre du bel artisanat. » Elle songe aussi à vendre des livres… Avec un peu de recul, Martine prend conscience que ce qu’elle aime, finalement, ce sont « les belles choses » : les étoiles, les équations stylées, la philo, les œuvres d’art et les voyages. Elle fait alors le bilan d’une vie déjà bien riche et en tire une conclusion en forme de défi : « Je dois apprendre ce que sont les belles choses. Et puis je dois rester dans ce que je sais faire. Je ne sais pas vendre, pas plus que je ne sais me vendre, mais je sais transmettre. » Le blog Détours des mondes est lancé en décembre 2005. Martine entre alors à l’École du Louvre, « pour une seule raison : avoir un diplôme sur les arts d’Afrique et d’Océanie, afin d’être crédible en écrivant sur l’art tribal. » Elle fait des recherches, et de là naissent ses premiers articles sur le blog.

« Au début du blog, je suis surprise par la nécessité de devoir écrire absolument pour le lendemain. Pas par ego, mais par boulimie de connaissances. » Un nouveau terrain de jeu s’ouvre à elle. Avec les arts d’Océanie, elle découvre les arts magiques, notamment aux côtés de Ludovic Coupaye, qui « donne une vision ethno des choses. Alors qu’en Afrique, c’est beaucoup plus formel : histoire des styles, interminables séries de diapositives… il n’y a pas vraiment d’humanité, on ne sait pas où sont les Africains derrière tout cela. C’est tout le contraire en Océanie. »

Se pose vite la question de sa légitimité à parler des peuples d’Afrique. « Mais j’arrive à passer au-delà, car je reçois beaucoup de commentaires de jeunes lycéens ou d’étudiants africains qui me remercient de ces quelques connaissances apportées […] Et puis je suis contre le savoir réservé aux grands initiés. C’est de l’obscurantisme ! Je suis consciente que notre soif de connaissance peut faire des dégâts, mais je suis néanmoins sûre de ne pas vouloir laisser la parole dans la bouche de ceux qui s’autorisent à l’avoir. »

En 2009 démarrent les conférences Détours des mondes. « Les gens me manquaient, j’avais envie de retrouver du contact, mais je ne voyais pas trop comment car les salles coûtent cher à Paris. » Donc elle monte une association pour accéder à un lieu et parvient à se faire rembourser quelques frais. « Mais je n’en vis pas, loin de là. » Avec une trentaine d’adhérents au départ – principalement des auditrices de l’École du Louvre – et une douzaine de conférences par an, l’association compte aujourd’hui plus d’une centaine de membres. Les profils sont très variés, avec autant de femmes que d’hommes. « Presque tous les hommes sont des collectionneurs, et seulement quelques femmes, mais ce sont toutes des personnes ouvertes, des curieux du monde. »

« Au début, les visites d’expositions pour les ventes Christie’s et Sotheby’s étaient nouvelles pour beaucoup. Je les emmenais aussi dans les galeries. Les femmes, notamment, n’auraient pas osé en pousser la porte car c’est très impressionnant. » L’association a vite pris de l’ampleur : « Les présentations, les visites, les rencontres se multiplient. » Aujourd’hui, l’association a atteint son but en étant devenue un réel espace de convivialité, où experts invités et amateurs passionnés viennent prendre la parole.

Martine continue à beaucoup voyager : « Avec mon mari, nous avons arpenté le Sahara petit bout par petit bout – Sud algérien, Mauritanie, Libye, Égypte, Niger – et, hors désert, le pays dogon, bien sûr ; Sumba fut une grande découverte ; le pays batak aussi, très intéressant… J’avais emporté le carnet de voyage de Barbier-Mueller, En pays toba, et on essayait de retrouver ce dont il parlait. » …

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