
Parmi les célèbres faussaires (poursuivant le précédent article), les amateurs d’art océanien ont certainement entendu parler de James Edward Little, un antiquaire né à Torquay en 1876. Il semble que ce soit un peu par hasard qu’il se soit lancé dans la réalisation de « faux » notamment dans l’art maori. Quoiqu’il en soit, il a beaucoup vendu à des musées et des collectionneurs du monde entier tels que le capitaine A.W.F Fuller, H.G.Beasley et W.O.Oldman, mêlant objets authentiques et ses propres réalisations.
Avec Fuller on retrouvera des objets au Field Museum de Chicago , par exemple :




William Henry Skinner, né à New Plymouth en Nouvelle-Zélande en 1857, est à la base géomètre et travaille dans la région de Taranaki. À la retraite il sera actif au sein de la Polynesian Society et s’occupera du Journal de cette association. Il deviendra aussi l’un des principaux bienfaiteurs du Taranaki Museum. Mais lorsqu’il était à Londres en 1909, il a rencontré James Edward Little et lui a acheté des pièces. Ce sont certaines d’entre elles qui se retrouvent ainsi de nos jours au Puke Ariki Museum (le musée de New Plymouth).
Tels sont répertoriés les objets suivants :






Resp. de haut à gauche jusqu’en bas à droite : Tekoteko A94.707 – ReiPuta A77.184 – Wahaika A77.195 – Tekoteko A94.703 – Koauau A94.704 – Wahahuia A76.810 © Puke Ariki Museum.
Plus complexe est l’existence de pièces dont W.H.Skinner fait état de son achat à J.E. Little en précisant « acquis auprès du marchand et faussaire anglais Edward Little » tels ces deux hei tiki (figures ci-dessous) qui montrent si besoin était ce mélange de pièces fausses et authentiques.


© Puke Ariki Museum Hei Tiki A77.290 et Hei Tiki A77.294
Ailleurs encore on trouvera des objets « Little ». Ainsi, au Pitt Rivers Museum d’Oxford, on relève une curieuse flûte qui n’a rien de maorie… Il s’agit bien d’un flûte en os mais les véritables koauau étaient réalisés à partir d’un os long humain et non avec un os de vache comme c’est le cas ici. Les motifs semblent empruntés à la tradition celte (source : notice du musée). Elle a appartenu à Sir Henry Wellcome, lequel, multimillionnaire dans le domaine de la chimie, a beaucoup acheté et des pièces de sa collection se retrouvent notamment dans plusieurs musées anglais.

James Robin Watt qui a soutenu une thèse en 1990 sur Little parle du style distinctif de ce dernier au sujet des rainures : Sa « méthode variait peu d’un faux à l’autre et constituait la base des motifs maoris qu’il utilisait. Son rainurage le plus distinctif était la double spirale simple en forme de « S ». Il l’a souvent sculpté en miroir et parfois il l’a simplifié davantage en un motif semblable à celui du pākura. Cette forme en « S » se retrouve sur presque tous ses faux en bois et en os. «
Mais revenons à notre faussaire. En 1915, il s’enrôle dans l’armée britannique et est démobilisé en 1919 pour des raisons de santé. Après une période dans un hôpital de Bath, Little est resté sur place en tant qu’antiquaire. Mais en 1934, il se prendre alors qu’il tentait de voler un musée et une maison de vente aux enchères. Il fut arrêté et condamné à six mois d’emprisonnement. En 1939, cette fois-ci reconnu coupable de vol d’artefacts avec récidive, il fut condamné à douze mois de prison. Il retourna à Torquay à sa libération et y vécut dans la pauvreté jusqu’à sa mort en 1953. Ces derniers évènements éclairent le titre de l’article d’Hermione Waterfield « James Edward Little. Marchand, faussaire et voleur maladroit » paru dans Tribal Art 76, été 2015, un article passionnant qui relate plus en détail la vie de Little.

L’existence de tant de faux maoris dans des collections publiques ou privées a bien sûr interrogé la recherche de provenance de la boîte maorie de la collection Layton que j’ai évoquée il y a peu sur ce blog.
Little n’était pas le seul sur le marché des fausses pièces maories. Il fallait aussi compter sur le Néo-Zélandais James Frank Robieson (1880-1966) actif lui aussi au début du XXe siècle. Très tôt, il collectionne des objets maoris et s’attire les foudres des populations locales pour ses pratiques qu’il considérait être de la « préservation », alors qu’il s’agissait bien de vol. En 1930, James est au Royaume-Uni et vend des objets au Pitt Rivers Museum. Retour en Nouvelle-Zélande vers 1941-1942. On ne sait pas s’il vendait ses œuvres comme des répliques ou comme des pièces maories authentiques ; peut-être les deux. Il décèdera en 1968.
Little et Robieson avaient un style différent en raison de leur formation et de leur connaissance respectives de la culture matérielle maorie. Little copiait des objets originaux qu’il volait. Robieson possédait une bonne connaissance des traditions maories, ayant travaillé aux côtés de sculpteurs. Le style caractéristique de Robieson est décrit comme étant « un lourd décor de surface généralement formé de rainures parallèles, droites ou incurvées, avec de lourdes encoches en dents de chien placées entre les lignes ». (source : rapport fourni dans l’article Thomas Layton : un collectionneur singulier)
D’après ce dernier, les activités de faussaires de Little et Robison sont postérieures à la principale phase de collecte de Layton, qui est décédé en 1911, et une comparaison de la boîte à trésor Layton avec des boîtes à trésor « maories » fabriquées par Little et Robieson suggère que la pièce Layton n’est l’œuvre d’aucune de ces deux mains.
Sources et pour compléter en ligne :
Les faux océaniens de James Edward Little dans la collection Fuller, un article de Patrick O’Reilly dans le Journal des Océanistes 27, année 1970.
James Edward Little : The Little Fakes , un article de Sorrel Hoskin sur le site du musée Puke Ariki.
Quelques vues sur les faux dans les arts anciens d’Oceanie, un article de Gilles Bounoure dans la revue Raison Présente, 2018/4
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