
© Metropolitan Museum of Art
Cette photographie célèbre a été prise par un ethnologue et zoologiste d’origine suisse méconnu, Paul, Baron de Rautenfeld (1865-1957). En effet, alors qu’il occupait le poste de responsable du Service des douanes maritimes en Chine, il eut l’opportunité de voyager à travers l’Asie et la région du Pacifique dans les années 1920, mêlant loisirs, recherches et collectes de matériel ethnographique. Au cours de ces explorations, il noua une amitié durable avec Heber Longman, alors directeur du musée du Queensland (1918-1945).
Par ailleurs, dès 1914, il devint un proche ami de Paul Wirz, les deux hommes ayant étudié ensemble à l’Université de Zurich et il est vrai que nous connaissons davantage ce dernier (prochaine note).
En 1925, on le retrouve dans la région du delta de la rivière Kikori et celle d’Urama, vers Kinomere. Dans le village de Maiaki situé dans cette dernière région, il photographie une curieuse figure à l’intérieur d’une maison longue appelée Iriwake.

Celle-ci a une postérité dans les collections occidentales puisqu’elle a été collectée par Bruce Seaman entre 1967 et 1973. Elle est présentée dans l’ouvrage The Seaman Collection écrit par Michael Martin en 2023.

Dans le catalogue de l’exposition Coaxing the Spirits to Dance de 2006, Virginia Lee Webb rapporte un passage du journal de Rautenfeld daté du 19 mai 1925 qui éclaire l’identité de l’entité représentée :
« Je me rendis immédiatement à Maiaki afin de profiter de la marée haute. M. Butcher m’avait informé que le dieu de la guerre Iriwake s’y trouvait et que je voulais photographier […] À l’intérieur de l’entrée principale [d’un dubu daima] sur la droite, se trouvait Iriwake, l’un des rares spécimens de ce genre encore conservés dans le district d’Urama. Le célèbre dieu de la guerre est une effigie plate d’environ cinq pieds de haut, en noir, rouge et blanc, avec des défenses de sanglier entourant le bout de son nez et une jupe d’herbe entourant ses reins. Des glands en fibre sont attachés à ses oreilles et un mairi [coquille de cou] peint en blanc sur sa poitrine et des figures blanches en forme de fer à cheval sur son ventre sont très visibles. Sa tête, ses bras levés et ses mains sont également marqués de larges lignes blanches. Au lieu des jambes, il y a une longue perche qui est frappée à travers le sol dans la boue sous le bâtiment. Bien qu’il fasse très sombre dans la maison des hommes, j’ai réussi à faire un portrait d’Iriwake en cinq minutes d’exposition.«

Iriwake est donc un esprit puissant qui a jeté les bases de la chasse aux têtes et de l’exposition des trophées dans les maisons des hommes.
On ne connaît qu’une autre sculpture de la sorte.Elle a été collectée par Thomas Schultze-Westrum, biologiste et cinéaste allemand qui s’est rendu en Papouasie-Nouvelle-Guinée dans les années 1960. Une note lui sera consacrée ultérieurement. Lire déjà l’excellent article de Michael Hamson dont est tirée la photographie suivante témoignant de la collecte de cette deuxième sculpture.

Pour en revenir à Paul de Rautenfeld, dans cette année 1925, il explore de nombreuses régions du Golfe. Ainsi, une photographie le montre-t-il accompagné de danseurs Kovave au village de Biai près d’Orokolo. Celle-ci fait partie de la collection Paul Wirz du Metropolitan Museum, mais c’est surtout le Museum der Kulturen Basel qui conserve des objets des collectes de Rautelfeld, un millier de photographies et ses carnets de voyage, malheureusement non disponibles en ligne.

Dans les photographies présentées dans mes notes précédentes, on a pu observer plusieurs masques Elema, comme ici, là, ou encore ici et là sans que j’en fournisse une explication. En voici une succincte :
Ces masques sont confectionnés à partir de canne, de rotin et de tissu d’écorce, jouent un rôle essentiel dans les cycles rituels. On distingue trois formes principales :
Les masques ovales de grande taille, nommés semese ou hevehe, symbolisent des esprits de monstres marins. Leur particularité réside dans leurs becs saillants.
Les masques kovave, de forme conique et également dotés de becs, sont portés par de jeunes hommes lors de phases spécifiques des cycles initiatiques.
Enfin, des masques coniques semblables aux kovave, appelés eharo, présentent des éléments sculptés sur leur sommet, représentant des animaux totémiques (aualari). Ils sont utilisés dans des danses exécutées par paires.



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