
En feuilletant à nouveau l’ouvrage de William H. Davenport, Santa Cruz Island. Figure Sculpture and its Social and Ritual Context (2005), retrouvé au fond de ma bibliothèque, j’ai réalisé avec étonnement que je n’avais encore jamais abordé sur ce blog les arts des Santa Cruz — et en particulier ces étonnantes figures anthropomorphes que Davenport appelle munga dukna (Image Divinité).
Cet ouvrage a fait l’objet de deux comptes rendus approfondis, offrant une lecture critique et argumentée : Gilles Bounoure (JSO 122-123, p.211-213) et Christian Coiffier (JSO 122-123, p.213-215)
Les effigies munge dukna (pl.de munga dukna ? ou munge dunke ), originaires du nord de l’île de Nendö (Graciosa Bay mais aussi de Temotu island (Trevanion isl.)) — la plus vaste de l’archipel des Santa Cruz, encore appelée Ndeni ou Ndende— constituent un type rare et encore mal connu de sculpture océanienne.

L’histoire des munge dukna dans les collections occidentales est indissociable de celle de l’archipel, passé du statut de protectorat britannique à celui d’État indépendant en 1978. En 1928, l’administration coloniale britannique installe une mission méthodiste au nord ouest de Nendö dans le but de renforcer son autorité. Les missionnaires, en convertissant la population locale au christianisme, incitent à l’abandon des « idoles » traditionnelles. C’est à cette époque que la majorité des statuettes familiales sont détruites par leurs propres propriétaires dans des autodafés.
Quelques sculptures échappent cependant à cette disparition. Elles sont acquises par des missionnaires, des administrateurs coloniaux ou des résidents européens, comme le révérend West de la Melanesian Mission, qui transmet une partie de ses collectes au capitaine et commerçant Fred Louis Jones. Ce dernier les vendra au marchand anglais H.G. Beasley, et treize d’entre elles seront acquises par le British Museum en 1944.

Avant cette période, dans les premières sculptures collectées, on a la trace de celle obtenue en 1882 par le missionnaire Alan Lister Kaye, grâce à un dessin publié dans l’album d’Edge-Partington sur les artefacts des îles du Pacifique (1890). Mais Lister Kaye n’a jamais publié d’écrits sur ses acquisitions — à moins que ses notes aient été perdues, tout comme la trace de cette statue (ci-dessous).

Dans son ouvrage publié en 2005, W. Davenport a identifié 55 sculptures anthropomorphes réparties entre collections privées et institutions muséales dans dix pays. Bien que probablement partiel, le répertoire illustré occupant près de la moitié de l’ouvrage n’en demeure pas moins une référence dans l’étude de ces effigies. Celles-ci représentent des divinités » dukna » ou des êtres surnaturels appelés « leimuba » (« petits hommes » ou « petites personnes » que nous aborderons dans une note ultérieure).

Dans son corpus, la majorité des munge dukna sont des figures masculines — seulement quatre sont féminines — mesurant entre 9 et 125 cm. Leur coiffure conique rejetée vers l’arrière rappelle les coiffes, appelées abe, en tissu d’écorce arborées par les hommes mûrs investis de responsabilités rituelles. Il existait des abe tout simples, mais aussi de plus élaborés toujours de forme conique qui se projetaient droit vers l’arrière, ou se courbaient vers le bas.
Photographie d’un homme de Vanikoro © R. Festetics, Neprazji museum, Budapest.

Ils étaient diversement décorés : de touffes de cheveux humains tombant de leurs pointes ou de rangées latérales de franges blanches duveteuses en fibres de gnetum, une rangée de chaque côté. (cf ci-dessous statue du Otago M.))
Soulignons cependant que. toutes les sculptures ne possèdent pas d’abe. Ainsi, les figures féminines n’en ont pas, puisqu’il s’agit d’un vêtement masculin.


Les sculptures sont richement parées : colliers, brassards, boucles d’oreilles, bijoux de nez, ceintures et pagnes en fibres.
Ces ornements évoqueraient les costumes cérémoniels des jeunes danseurs obla lors des cérémonies nela, en lien avec les divinités dukna mais aussi les parures des personnages importants comme en témoigne la photographie du chef de Graciosa Bay (ci-dessus).

Toujours d’après Davenport, les statues les plus grandes étaient placées sur des autels dans les habitations et les maisons des hommes, posées sur des étagères ou directement sur le sol, entourées de crânes ancestraux, de conques et de rouleaux de monnaies en plumes rouges. (voir le superbe dessin de Régine van den Broek d’Obrenan, ci-après).
Transmises par héritage, elles nécessitaient des offrandes de nourriture pour raviver leur pouvoir surnaturel.
Les statues plus petites étaient des images portables .
Dunka (126cm) © Otago Museum Dunedin

Mais comme le souligne Gilles Bounoure, la nature exacte du culte associé à ces effigies reste incertaine.
Était-il personnel, familial, clanique ou strictement masculin ? Davenport parle d’autels dans les maisons des hommes et dans les simples habitations. Ces sculptures étaient-elles liées aux rites funéraires ou au culte des morts ? Les descriptions de Davenport ne permettent pas de trancher
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