
Quand on évoque les grandes expéditions maritimes françaises, les noms de Bougainville ou Lapérouse viennent immédiatement à l’esprit. Parfois Nicolas Baudin, qui a fait l’objet d’une conférence samedi dernier à Paris… Pourtant, un autre navigateur mérite notre attention : Étienne Marchand, capitaine du Solide, qui réalisa entre 1790 et 1792 l’une des premières circumnavigations françaises à but commercial.
L’objectif des armateurs marseillais qui embauchèrent Marchand était clair : Concurrencer les Anglais sur le marché des fourrures du Pacifique Nord. Pour ce faire, il faut acheter des peaux de loutre sur la côte nord-américaine, les revendre en Chine, et rentrer avec un bénéfice.

C’est ainsi que le trois-mats, le Solide, quitte le port en décembre 1790 avec une cinquantaine d’hommes à bord direction les îles du Cap-Vert, puis les Marquises. Commerce sur les côtes de l’Alaska et de la Colombie-Britannique. Escale à Hawaï, vente des fourrures à Macao et retour à Marseille en août 1792 via l’île Maurice. Et l’expédition s’est effectivement déroulé ainsi, sans naufrage et peu de pertes humaines. Le voyage n’a duré que vingt mois. Un exploit !
Etienne Marchand par Johann Friedrich Schröter
Mais commercialement, c’est une déception : le marché chinois est saturé, les profits sont minimes. Le voyage tombe dans l’oubli, éclipsé par les grandes missions scientifiques de l’époque.
Ce n’est qu’en 2005 que le Journal de bord de Marchand est publié, grâce au travail d’Odile Gannier et Cécile Picquoin. Auparavant, ce voyage de circumnavigation était connu par la publication de Claret de Fleurieu, Voyage autour du monde, pendant les années 1790, 1791 et 1792, par Étienne Marchand, précédé d’une introduction historique…, qui était un écrit adapté et « enrichi » des récits de deux officiers du Solide (Chanal le capitaine en second et Roblet, le chirurgien) sans avoir eu connaissance des notes d’Etienne Marchand !

Et dans cet « original », on y découvre un récit riche en observations ethnographiques et géographiques. Aux Marquises par exemple, s’y juxtaposent sur le même ton des remarques sur les parures, les descriptions physiques, le tatouage,… et le viol manifeste de fillettes !
Quant aux artefacts, il note sur les Marquisiens : (lundi 20 au mardi 21 juin 1791) « … leur vie se passe dans une oisiveté presque continuelle dont ils savent bannir l’ennui par des danses, des chants et un exercice qui consiste à marcher sur des échasses : ils travaillent à cet effet deux morceaux de bois de forme pyramidale d’environ un pied et demi de longueur sur lesquels ils sculptent grossièrement une figure d’homme, dont la tête est surmontée d’une espèce de coiffure haute d’environ deux pouces évidée par derrière, de manière à laisser entre elle et la perche qui lui sert de support, assez de place pour loger les pieds, et après les avoir fortement attachés à cette perche à la hauteur qu’ils jugent à propos, ils s’en servent comme nous nous servons des nôtres. »
Ci-après, le dessins des échasses et de parures … Marchand a-t-il collecté ces objets et autres artefacts ?Je n’en ai pas trouvé la trace.

Mais pour Étienne Marchand, l’essentiel ne réside peut-être pas dans la collecte d’objets, en marge de sa mission commerciale. Ce qui va marquer son voyage, c’est la découverte et la nomination d’îles — Marchand, Baux, Deux-Frères, Masse et Chanal (correspondant respectivement à Ua Pou, Nuku-Hiva, Motu-Iti, Eiao et Hatutu). Bien qu’il ait baptisé ces lieux et hissé le pavillon français, il n’a pas officiellement pris possession des îles au nom de la France. Il n’avait ni mandat royal ni mission diplomatique pour cela. Mais comme beaucoup d’hommes de son temps, imprégnés des idéaux révolutionnaires, il semble animé par une forme de “mission civilisatrice”.
Ce n’est qu’en 1842, soit plus de 50 ans après le passage de Marchand, que l’amiral Dupetit-Thouars annexera officiellement les Marquises au nom de la France, dans un contexte de rivalité coloniale avec les Britanniques.
Le périple de Marchand mériterait une place plus grande dans notre mémoire collective. Il rappelle que l’exploration, à la fin du XVIIIe siècle, ne se limite pas aux exploits scientifiques : elle peut aussi être portée par le rêve d’un négoce lointain. Son oubli relatif ne s’explique pas par le tumulte historique de son époque car rappelons-nous qu’au même moment, le voyage d’Entrecasteaux — parti le 27 septembre 1791 à la recherche de La Pérouse — captait toute l’attention…
Quant aux collections, le journal de Prosper Chanal, second de Marchand, mentionne des échanges et des acquisitions, mais sans inventaire détaillé. Peut-être en saurons-nous un peu plus dans les décennies à venir ?
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