
En suivant le tableau dressé par Jan Hasselberg dans Historical Photographs from New Guinea 1875-1940, j’ai découvert qu’un certain Albert C. English s’était montré particulièrement actif au tournant du siècle, laissant derrière lui un nombre considérable de photographies aujourd’hui conservées dans divers musées. Par ailleurs, Hasselberg a présenté en mars 2015 une conférence intitulée The Reports and Photographs of Albert English. Overlooked Sources of Papua New Guinea History and Anthropology, dont il a mis le texte en ligne.
Voilà qui constituait un excellent point de départ pour mieux connaître ce collectionneur de spécimens d’histoire naturelle, arrivé en Nouvelle-Guinée en 1883. Mais l’enthousiasme fut de courte durée, car Hasselberg souligne lui-même dans cet article : « Il est quelque peu paradoxal que la carrière et les écrits d’Albert English aient été largement ignorés par les historiens de Papouasie-Nouvelle-Guinée, alors qu’il fut l’un des tout premiers expatriés pionniers et joua un rôle central dans les années de formation de la colonie, de 1884 à 1907 : seize ans comme agent du gouvernement, la participation à plusieurs expéditions majeures, et la création puis la direction de la plus importante plantation de la Nouvelle-Guinée britannique. »
Plus loin, il précise encore que « la collection de photographies conservée à l’Université du Queensland est la seule aujourd’hui accessible en ligne. » Effectivement, en fouillant un peu, on n’obtient que très peu de résultats ; la collection la plus complète des photographies d’Albert English, conservée à l’Australian Museum de Sydney, n’est pas accessible à distance. Je me suis donc vite retrouvée limitée à une source unique : cet article de Jan Hasselberg — mais ô combien captivant !
On apprend ainsi que Charles English arriva en Nouvelle-Guinée britannique en 1883, à l’âge de vingt ans, et y demeura jusqu’en 1942. Durant ces six décennies, il se consacra à la collecte d’animaux et de plantes, prit part à plusieurs expéditions marquantes, exerça les fonctions d’agent du gouvernement, collecta des artefacts et fonda une vaste plantation qu’il exploita pendant plus d’un demi‑siècle. Il avait établi sa plantation (coprah mais aussi caoutchouc et sisal) à Rigo (au sud de Port Moresby) et ce dès 1890. Dès lors, il ne quitta plus cette région.

Sa demeure de Rigo devint un des lieux où de nombreux visiteurs faisaient halte ou séjournaient quelque temps. Parmi eux ont figuré quelques‑uns des ethnographes et anthropologues les plus renommés de l’époque : Lamberto Loria, Alfred Haddon, Charles Seligman et Bronislaw Malinowski.
Comme nous l’avons vu, dans la Nouvelle‑Guinée britannique des débuts, plusieurs administrateurs et missionnaires manifestaient un intérêt pour les cultures locales. Tout en poursuivant leur mission religieuse ou la mise en place d’une administration coloniale et/ou d’opportunités économiques, ils consignaient des observations ethnographiques, parfois transmises à des chercheurs en Europe, parfois publiées dans des revues ou des ouvrages. La plupart des expatriés partageaient la conviction que ces traditions disparaîtraient en l’espace de quelques décennies, ce qui renforçait leur volonté d’observer, de documenter et de diffuser ce qu’ils voyaient et vivaient, et ce malgré des ordres qui leur enjoignaient de ne voir dans leurs rapports et photographies que des témoignages d’une exigence purement administrative et non d’un intérêt anthropologique.

Charles English était un colonisateur, il croyait en la conquête européenne de terres lointaines et pensait que c’était juste et légitime. Cependant, s’il a photographié de nombreux paysages, qui présentaient un intérêt administratif, ses images montrent des villages et des maisons, des portraits et des fêtes.
Il a notamment écrit sur les Sinaugolo, un peuple vivant à proximité de Rigo. Si Seligman et Malinowski étaient eux aussi passés dans cette région, car la pratique d’ériger de grandes plate-formes cérémonielles, les dubu, avaient été très tôt remarquée, ils n’ont pas rédigé de véritables monographies sur ces populations. Aussi les rapports et photographies de Charles English, apparaissent-ils comme précieux.

À la différence de photographes tels que Johannes Lindt, mandaté officiellement pour représenter la colonie et qui, en tant que visiteur de passage, privilégiait des vues de villages avec quelques autochtones au premier plan, English disposait du temps nécessaire pour saisir des cérémonies

Mais après s’être retiré de ses fonctions administratives, English se consacra entièrement à sa plantation, délaissant la pratique photographique. Dans son étude approfondie sur ce personnage, Jan Hasselberg a toutefois mis au jour quelques artefacts collectés par English.

à suivre
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