Les flûtes sacrées des Mundugumor

© Sainsbury Research Unit, University of East Anglia, Norwich, photo Crispin Howarth 2025

Une fois encore, c’est une photographie issue de la présentation de Crispin Howarth sur les arts de la Yuat River qui a retenu mon attention.

Le bouchon de flûte situé à droite sur l’image précédente se distingue nettement par son style, bien éloigné de celui des bouchons plus familiers, tel celui visible à gauche.

Il s’agit en réalité d’une sculpture ancienne, dont la silhouette évoque davantage une tête d’oiseau surmontée d’une longue crête. En découvrant l’image dans son intégralité, on aperçoit un animal — sans doute un crocodile — agrippé à son dos. Serait-ce là une figure hybride, incarnation d’un esprit à la fois de la forêt et de l’eau ?

En fait cette figure ne m’était pas totalement inconnue en cherchant bien, puisqu’elle a été publiée dans un très complet article de Christian Coiffier sur les bouchons de flûte sculptés Biwat paru cet été 2025 dans la revue Tribal Art.

Pour en revenir à Margaret Mead qui séjourna chez ceux qu’elle appelait alors les Mundugumor dans les années 1930, elle a décrit à maintes reprises l’importance des flûtes. dans Sex & Temperament… et on peut lire p.213 :

« …Mais entrer et voir les flûtes sacrées, avec leurs (étendards?) hauts et fins, incrustés de coquillages surmontés d’une figure miniature à la tête disproportionnée, coiffée d’un diadème de coquillages et ornée de centaines de décorations gracieuses et précieuses, au milieu desquelles brillent ses yeux de nacre – voilà une expérience marquante. Autour de ces flûtes sacrées […] parées de précieux coquillages sur lesquelles tout le talent artistique des meilleurs sculpteurs a été prodigué ; se concentre la fierté des Mundugumor […] . . de leurs flûtes, ils sont excessivement fiers ; ils les appellent par des termes de parenté, ils leur offrent de la nourriture. »

© Réserves de l’Australian museum, photo Crispin Howarth 2014

Toutefois, ces bouchons de flûtes étaient sans doute conservés dépouillés de tout ornement, et n’étaient parés qu’à l’occasion des cérémonies. Dans les collections actuelles, ces éléments décoratifs sont absents — peut‑être n’ont‑ils jamais été collectés, ou bien ont‑ils été retirés au moment de l’acquisition… Il n’y a que quelques exemplaires qui sont encore décorés de coquillages :

Il faudrait aussi affiner notre usage du terme wusear, qui regroupe sous une même étiquette des objets aux fonctions et aux statuts bien différents. Christian Coiffier – suivant les descriptions d’Henry Aufenanger, un prêtre de la Société du Verbe Divin, missionnaire et anthropologue – distingue trois grandes familles de flûtes : mandjini aiyang, ashin aiyang et yakat aiyang, toutes jouées latéralement.

La première, la mandjini aiyang, était associée à un petit masque et à un sifflet ; elle faisait résonner la voix des esprits de la forêt. Ce sont les deux autres flûtes qui portaient de grands bouchons, retirés au moment du jeu. Parmi elles, les ashin aiyang se distinguaient par leur décoration particulièrement élaborée. Coiffier suggère qu’elles n’étaient peut‑être utilisées que dans le cadre d’échanges cérémoniels, ce qui leur confère un statut singulier au sein de cet ensemble d’instruments.

Il apparaît que la plupart des bouchons ornant les flûtes yakat aiyang présentent un nez percé, dans lequel étaient insérées des défenses de cochon. Les oreilles, elles aussi perforées — à l’image des pratiques corporelles des jeunes garçons Biwat — servaient à suspendre des coquillages. Nombre de ces bouchons comportent également un collier percé sous le menton, destiné à recevoir des cheveux humains. Enfin, la coiffure était fréquemment agrémentée de plumes de casoar.

Bouchon de flûte, vente André Breton 2003© Calmels Cohen

Il faut imaginer la profusion de décoration sur ces bouchons de flûtes et l’extrême anthropomorphisation de ces objets.

Pour preuve celle donnée à Margaret Mead qui écrit dans sa lettre du 1er février 1933 : … »et tous s’étaient montrés si respectueux — allant jusqu’à nous offrir une flûte sacrée spécialement réalisée, surmontée d’un riche décor sculpté, baptisée Kenakatem (du nom de notre village), et présentée avec une grande solennité. Cette flûte sacrée représente un bébé crocodile ; sa mère est un tambour à eau. Ils ont emmené le tambour jusqu’à la rivière, où il a « donné naissance » à la flûte sacrée, qui a d’abord poussé un faible cri de nouveau-né, puis s’est exprimée plus puissamment en sortant de l’eau. Elle a ensuite été portée sur la berge et enfin déposée avec les honneurs dans notre maison où quelqu’un venait la nourrir chaque jour. Nos garçons mangeaient sa nourriture sacrée et étaient très heureux« .

in Letters from the field 1925-1975 (1977). Photo de Kinakatem p.137

Henry Aufenanger, dans son article Beliefs, Customs and Rituals in the Lower Yuat River Area, North- West New Guinea paru dans Asian Folklore Studies en 1977, suite à son terrain dans les années 60 apporte des précisions concernant le déroulement des initiations :

« L’initiation comporte trois grandes étapes :

YAKAT. Des flûtes en bambou sont présentées aux candidats. Une tête d’esprit est fixée au centre de la flûte. L’oiseau karanyat semble revêtir une importance particulière.

ASIN = le crocodile. La peau des candidats est lacérée à l’aide de dents de crocodile, et les flûtes asin leur sont présentées.

MANZINE. Les lobes d’oreilles et les septums nasaux sont percés, et les flûtes manzine — ainsi que des flûtes en noix de coco — sont montrées aux candidats.

Lors de la phase Manzine, les masques tumbuan sont montrés. Le corps du porteur du masque est recouvert de feuilles de sagou, ce qui confère aux candidats des pouvoirs particuliers pour la chasse au cochon. L’étape Asin, elle, renforce les candidats pour le combat. À trois reprises, les candidats doivent séjourner dans la maison des esprits pendant six mois. Durant ces périodes, ils ne doivent ni voir ni évoquer quoi que ce soit de nature sexuelle — un tabou extrêmement strict« .

© Yale Peabody museum ANT 050057

Ces flûtes sacrées, dont les usages et les typologies méritent encore d’être affinés, rappellent combien l’étude des arts de la Yuat River reste un champ vivant, alimenté par les archives, les collectes anciennes et les travaux plus ou moins récents… à suivre


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