




Sculptures de Papouasie Nouvelle Guinée attribué à la région du Sepik © musée du Quai Branly – Jacques Chirac N° inventaire resp. de haut en bas et de gauche à droite 72.1966.14.1 – 72.1966.14.2 – 72.1966.14.8 – 72.1966.14.7 – 72.1966.14.10
L’idée de « renouveau culturel » ouvre souvent la voie à tout un champ de fabrication d’objets pour les « touristes ». Mais outre les réalisations par les artistes de locaux de « souvenirs », il a existé (et il existe toujours) au moins deux cas de « faux » célèbres en ce qui concerne les artefacts océaniens, c’est-à-dire d’objets fabriqués dans le but de tromper délibérément l’acheteur.
Voici un premier exemple concernant des objets du Sepik.
Lorsqu’on se trouve face à un tel corpus (photos ci-dessus) on reste sceptique. Les collectionneurs peuvent être tentés par l’achat de pièces sortant des canons stylistiques, telle ces étranges sculptures et/ou bouchons de flûtes…
Trop chargées, trop molles, à l’iconographie improbable penseront certains qui connaissent bien les arts du Sepik mis en avant depuis quelques dizaines d’années grâce aux expositions publiques et aussi mieux connus par l’existence de nombreuses publications. Mais en 1965, « on » ne pensait pas vraiment ainsi… le « on » désignant ici Jean Guiart, responsable alors des collections Océanie, parti en mission dans le Pacifique pour le compte du musée des arts africains et océaniens…
En 1966, Guiart rend notamment visite à Gene van Grecken, marchand et collectionneur d’art tribal de Sydney, et lui achète quinze sculptures sur bois pour le musée. D’après le marchand, celles-ci proviendraient de la collection de Harold Woodman, un officier de patrouille dans la région du Sepik dans les années 1920 et 1930. En 1940, ce dernier est rappelé dans l’armée pour la durée de la Seconde Guerre mondiale mais revient en Nouvelle-Guinée en tant qu’officier de district à Madang après la guerre. À la retraite, il vit à Sydney et en 1958, il lui aurait vendu une partie de sa collection.
Les « achats » de Jean Guiart sont critiqués à l’époque mais il faudra attendre 50 ans pour voir resurgir au grand jour l’affaire « des objets Van Grecken » dans le numéro 142-143 du Journal des Océanistes de l’année 2016.
Dans un mini dossier intitulé Les objets « van Grecken ». De bien ténébreuses affaires, on peut lire trois articles éclairant prodigieusement ce qui est une belle histoire de « faux ».
Philippe Peltier Les objets « van Grecken ». De bien ténébreuses affaires. Présentation
Harry Beran Nineteen « New Guinea » sculptures by a mystery hoaxer from the Gene van Grecken Collection
Nicolas Garnier Fine art or fake art ? Étude d’une collection d’objets Sepik et Asmat du musée du quai Branly
D’après Philippe Peltier qui fait un résumé de ces « affaires » :
L’article d’Harry Beran … « revient sur cette histoire mais surtout démontre pourquoi, à ses yeux, cette collection est un canular réalisé afin de tromper les experts. La rédaction de cette étude remonte à dix ans. Pour diverses raisons, elle ne fut jamais publiée. Harry Beran la fit lire aux deux protagonistes. La réaction fut violente. On s’attendait difficilement à moins !«
Quant à l’article de Nicolas Garnier, il s’agit « d’un résumé des résultats obtenus à la suite des analyses très fines menées sur les pigments par Nicolas Ganier et sur les bois par Victoria Asensi Amoros. ils confirment, non pas sur un fait mais sur un faisceau de faits que nous sommes bien en face de faux. Citons quelques exemples.
Certains bois ne se retrouvent pas en Nouvelle- Guinée comme Shorea, une espèce du sud-est asiatique. C’est le bois utilisé pour « L’homme picoré par les oiseaux » (72.1966.14.1) ou encore Peronema canescens, un bois d’insulinde utilisé pour la figure féminine 72.1976.1.8. Autre exemple : l’utilisation d’un produit lacté – plus certainement du beurre ! -comme liant pour les pigments. À ma connaissance ni le beurre ni le lait n’existaient dans le Sepik (sauf introduit par les colons, mais il faut se rappeler que ces pièces seraient anciennes et que lors de leur supposée collecte, seule une quinzaine de colons vivaient dans le Sepik !). De même la présence d’huile de muscade sur plusieurs objets (dont 72.1966.14.1), est pour le moins curieuse. Cette huile, à ma connaissance, ne circula jamais dans la région. Ou encore de la peinture antirouille. Si l’on peut avancer que les artistes locaux ont pu à un moment se procurer de la peinture antirouille (ferrite de zinc) auprès de colons, cette peinture indique les objets n’ont pas été fabriqués avant 1930 et qu’ils ne peuvent donc pas provenir des collections auxquelles le vendeur les attribue.
Ou encore l’usage d’une cire saponifiée qui ne se trouve pas à l’état naturel et qui fut lessivée avec un produit alcalin (par exemple sur 72.1966.14.10). Ou d’un noir de carbone utilisant une graisse animale comme liant, ce qui est un matériau classique chez les restaurateurs d’œuvre d’art. La présence de ces matériaux sur certaines couches indique toute une cuisine qui était propre aux restaurateurs de l’ancienne génération et aux faussaires qui voulaient donner une « belle et trompeuse patine aux objets». Certains pigments sont d’origine chimique. D’autres sont rares. Là encore à moins d’imaginer qu’un marchand de couleurs pour artiste se soit installé dans le Sepik… »
à suivre avec les histoires de James Edward Little et James Frank Robieson
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décidément Guiart ne cesse d’être controversé.
cela dit l’extravagance de ces sculptures me séduit beaucoup. !
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