Lajos Bíró et ses expéditions en Nouvelle-Guinée

Biro et sa 3ème épouse, Baie de l’Astrolabe, entre 1896-1901 © Néprajzi Múzeum NM F 15460

En relisant mon article Premières photographies du Pacifique sud et le tableau dressé par Jan Hasselberg : Historical Photographs from New Guinea 1875-1940, on ne peut qu’être saisi de vertige par le nombre de photographes actifs en Papouasie au cours de cette période. À première vue, et grâce aux références d’Hasselberg, on pourrait croire qu’il est aisé de retrouver leurs archives en ligne.

Mais par où commencer, sans prétendre à l’exhaustivité ? Mes premières recherches sur internet se sont révélées décevantes : si les clichés sont bel et bien répertoriés, leur accès direct en ligne reste souvent limité.

J’ai donc choisi de me tourner vers des figures déjà connues, au moins de nom, afin d’ouvrir par leur intermédiaire une porte d’entrée vers des régions que je n’avais pas ou peu abordées sur ce blog.

Le premier nom qui s’est imposé fut celui de Lajos Bíró, naturaliste hongrois que je n’avais fait qu’évoquer dans mon article Astrolabe – Huon – Tami. Un personnage majeur, aujourd’hui associé aux collections océaniennes du musée de Budapest, et lié à des zones de Papouasie orientale encore peu explorées ici.

Pour approfondir la connaissance de ce personnage, il n’est pas aisé de revenir directement à ses propres écrits : les deux ouvrages qu’il publia en 1899 et 1901 sont rédigés en hongrois et en allemand.

Toutefois ceux-ci, Ethnographische Sammlungen des Ung. Nationalmuseums, III (1901) et Beschreibender Catalog der ethnographischen Sammlung Ludwig Biró’s aus Deutsch-Neu-Guinea. Berlinhafen, I (1899), sont téléchargeables et comportent de nombreuses planches de dessins d’objets et photographies (nous y reviendrons).

© Site

Mais d’abord comment cet homme s’est-il retrouvé dans ces régions (que l’on situe bien sur la carte ci-dessus) ?

Comme sources, je m’appuierai sur un long article de Gabor Vargyas : « The Oceania Collection » paru dans Taking them back to my homeland…’. Hungarian collectors – Non-European collections of the Museum of Ethnography in a European context edité par Janos Gyarmati en 2008.

Lajos Bíró, né en 1856 dans une famille modeste de Transylvanie, parvint malgré des conditions difficiles à poursuivre des études, nourrissant très tôt une passion pour l’entomologie. Après l’obtention de son baccalauréat en 1875, il fréquenta le collège de Debrecen, puis l’École de théologie réformée de Budapest (1878-1879). À Debrecen, il fut profondément influencé par le pasteur naturaliste Gyula Pungur, dont la personnalité et la riche collection d’insectes orientèrent définitivement ses intérêts scientifiques. Renonçant à la carrière religieuse, il choisit de devenir naturaliste.


Lajos Bíró avec un groupe se préparant pour une cérémonie de deuil, ancienne Nouvelle-Guinée allemande, 1900 © Néprajzi Múzeum NM F 15453

Après un bref passage comme instituteur, il s’installa à Sátoraljaújhely où il devint précepteur dans la famille du médecin-chef du comté, Kornél Chyzer. Ce dernier, également zoologiste réputé, lui permit d’élargir ses connaissances grâce à sa vaste bibliothèque et l’encouragea à l’apprentissage des langues. Bíró obtint ensuite un poste d’inspecteur du phylloxéra à l’Insectarium de Budapest, où il travailla six années (1881-1886), parcourant le pays et donnant des conférences pédagogiques aux viticulteurs. Contraint de quitter cette fonction, il se consacra à l’enseignement et entreprit plusieurs voyages de collecte à travers les Hautes Terres, la Transylvanie et la Croatie.

Mais en 1895 le destin de Lajos Bíró va connaître un véritable tournant. Deux figures majeures entrent alors en scène :

D’une part, le Musée d’ethnographie de Budapest, fondé le 5 mars 1872 lorsque János Xántus prit la direction du département d’ethnographie du Musée national hongrois. Ce dernier avait auparavant organisé une vaste exposition réunissant plus de deux mille cinq cents pièces collectées en Asie orientale, jetant ainsi les bases d’une future institution.

D’autre part, Samuel Fenichel, un Hongrois né en 1868, un moment conservateur aux départements d’archéologie et d’histoire naturelle du Musée national de Bucarest. En 1891, il avait quitté ses fonctions pour participer à une expédition en Nouvelle-Guinée allemande, financée par Alfred Grubauer, marchand allemand et ornithologue amateur. L’objectif était de rassembler des collections ornithologiques, notamment des oiseaux de paradis, très prisés à l’époque. Fenichel, chargé d’apporter son expertise scientifique, était arrivé à Madang (alors Friedrich-Wilhelmshafen) dans la Baie de l’Astrolabe le 22 décembre 1891. Rapidement, il s’était mit à collecter et à explorer la région. Mais sa collaboration avec Grubauer prit fin brutalement, le laissant en Nouvelle-Guinée sans ressources. Cherchant un soutien, Fenichel se tourna alors vers le Musée national de Hongrie, qui accepta de financer ses travaux en échange de collections zoologiques et ethnographiques. Jusqu’en 1893, de précieuses pièces parvinrent ainsi à Budapest, avant que Fenichel ne succombe à la maladie.


Lávetot et sa famille, les parents et le jeune couple en tenue de fête pour leur mariage – région de Madang © Néprajzi Múzeum NM F15391

La disparition prématurée de Fenichel laissait un vide que le musée décida de combler. En novembre 1895, il confia à Lajos Bíró la mission de poursuivre l’œuvre entamée en Papouasie-Nouvelle-Guinée, selon les mêmes modalités contractuelles. Mais le voyage n’étant pas pris en charge, Bíró dut vendre l’intégralité de sa propre collection pour financer son départ !

Arrivé à Friedrich-Wilhelmshafen le 1er janvier 1896, Bíró établit sa première base et commença à collecter des spécimens zoologiques. De là, il effectua ses premiers voyages dans la région et dans les montagnes Hansemann.

À cette époque, la région n’offrait déjà plus un terrain favorable à la collecte : les marchands avaient acquis la plupart des objets de valeur. À la fin du mois de juin, Bíró saisit néanmoins l’occasion de voyager avec Ludwig Kärnbach, un commerçant allemand qui rassemblait des spécimens destinés aux musées de Berlin, dans la région de Berlinhafen (aujourd’hui Aitape). Cette expédition fut particulièrement fructueuse : en octobre 1896, il revint à la Baie de l’Astrolabe avec 542 artefacts et photographies qu’il expédia à Budapest.

Son second séjour dans la Baie de l’Astrolabe s’étendit vraisemblablement d’octobre 1896 à juin 1897. De retour de Berlinhafen à Erima, il s’installa à Stephansort d’où il explora les villages voisins de Bongu et Bogadjim, les montagnes Hansemann, Oertzen et Konstantin, ainsi que les îles Bilibili, Siar et Graget. Cette campagne lui permit de constituer une remarquable collection de 859 artefacts.

On ne sait rien des activités de Bíró entre 1897 et 1898. Mais en juin 1898, on le retouve à Simbang, dans la région du Golfe Huon, où il resta plus d’un an. En septembre 1899, Bíró quitta le Golfe Huon et retourna dans la Baie de l’Astrolabe, où il resta jusqu’en mai 1900.

Un événement marquant survint en janvier 1900 : l’arrivée en Nouvelle-Guinée de Robert Koch, découvreur du bacille du paludisme et futur prix Nobel. Les deux hommes se lièrent rapidement d’amitié et, en mai 1900, entreprirent ensemble un voyage d’un mois en Nouvelle-Irlande. Malgré le peu de temps dont il disposait et ses moyens limités, Bíró réussit à constituer une collection honorable. La monographie consacrée aux statues funéraires malanggan issues de cette expédition fut publiée plusieurs décennies plus tard par Tibor Bodrogi.

Après son séjour en Nouvelle-Irlande, Lajos Bíró entreprit en août 1900 une nouvelle expédition vers les îles Vitu, invité par le marchand danois Peter Hansen. Un passage à Sydney pour raisons de santé suivit, puis, en février 1901, il participa brièvement à une expédition pénale allemande dans les îles au large de la Baie de l’Astrolabe. La durée exacte de ce séjour reste inconnue, mais en juin 1901 il était de retour dans la baie, probablement après avoir exploré les embouchures des fleuves Sepik et Ramu, Potsdamhafen et la région de Bogia.

Page du carnet de notes ethnologiques © Néprajzi Múzeum NM EA 4715

Au total, Bíró avait passé six années en Nouvelle-Guinée. Il quitta ensuite la grande île et entreprit un long voyage de retour par Singapour, l’Inde et l’Arabie, pour finalement regagner Budapest en janvier 1902.

À partir de 1903, il devint chercheur honoraire au Jardin zoologique du Musée national, où il travailla jusqu’à sa mort.

à suivre…


En savoir plus sur Détours d'Océanie

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑