Les masques des Mundugumor

© Metropolitan Museum 1979.206.1634

La présentation de Crispin Howarth consacrée aux arts de la Yuat River, glissée parmi les « cadeaux » de Joyeuses Fêtes, m’a donné envie d’explorer davantage les créations des Biwat — autrefois appelés Mundugumor.

Masques et bouchons de flûtes occupent aujourd’hui une place de choix, tant dans les expositions que sur le marché de l’art dit « tribal ». Leur puissance formelle, leur expressivité saisissante, ne peuvent que nous interpeller.

J’ai déjà écrit une note sur ces masques : Les masques Biwat du Bas Sepik en 2013 mais je voudrai rajouter ici une remarque concernant une photographie de Gregory Bateson montrée dans la vidéo— que je ne connaissais pas — et qui m’a particulièrement frappée. Issue de son célèbre ouvrage Naven. A Survey of the Problems suggested by a Composite Picture of the Culture of a New Guinea Tribe drawn from Three Points of View 1958 (téléchargeable), cette image, à mes yeux terrifiante, représente un homme masqué, agenouillé.

© Gregory Batteson

De fait celle-ci est une partie de l’image complète de Bateson (planche 12) intitulée Initiation au village de Komindimbit : le novice est soumis à des mauvais traitements :

©Gregory Batteson

Scène et masque étonnants puisqu’elle se déroule en région Iatmul (et non pas chez les Biwat comme le laisse présager le masque) ! Heureusement Gregory Bateson donne une explication détaillée de cette image : « Pendant une semaine après avoir eu le dos scarifié, le novice est soumis à une série de cérémonies humiliantes. On le force à s’accroupir comme une femme tandis que des initiateurs masqués le maltraitent de diverses manières. Le masque porté par l’initiateur a été fabriqué par des habitants des montagnes situées à la source de la rivière Yuat. Ce masque est parvenu, on ne sait comment, probablement comme butin, aux indigènes du Bas-Sépik. Un groupe de travailleurs Iatmul de retour au pays a volé le masque sur le chemin de Komindimbit, et il a été intégré aux cérémonies d’initiation locales ; on l’appelle alors « tumbuan » (le mot pidgin courant pour masque). Le « tumbuan » est un présage de vol. L’os de vache … qui se trouve au sol devant les genoux du personnage est suspendu à une ficelle devant le visage du novice. Le tumbuan s’adresse alors à la novice à la deuxième personne du singulier féminin : « Es-tu une enfant qui vole du (calicot?)  ? » Il fait ensuite un mouvement de bras, ce qui fait osciller l’os, signe d’une réponse affirmative à la divination ; et il gifle le novice. La même question est posée à propos des ignames, des bananes, du tabac, etc. À chaque fois, la réponse est affirmative et le novice reçoit une gifle« .

Cet « emprunt » aux Biwat ne devait pas être rare. On retrouve un masque identique placé sur le dos d’une créature reptilienne gigantesque représentant certainement la Mère Crocodile dans une photographie de Felix Speiser en 1930 (voir mon article Felix Speiser sur le Sepik – 1930).

Ces masques parfois souriants mais avec la langue tirée, n’en demeurent pas moins effrayants. Nommés Tumbaï mais aussi Gugu ou Yakat, ils représentaient des esprits de l’eau ou des esprits de la forêt.

Les études qui leur sont consacrées restent rares. Parmi elles, on peut citer celle de Margaret Mead, qui a accordé une place importante aux Mundugumor dans son ouvrage Sex & Temperament in Three Primitive Societies, publié en 1935, en les comparant aux Arapesh et aux Chambri. Elle y décrit une société où l’agressivité est valorisée aussi bien chez les hommes que chez les femmes, et où les relations sociales sont traversées par la compétition, la rivalité et une forme de violence ritualisée. Son ouvrage est téléchargeable..

Il convient toutefois de rappeler que ce travail a été largement critiqué. Les affirmations de Mead ont été remises en question, notamment parce qu’elle et son mari ont séjourné brièvement chez les Biwat à l’automne 1932, et que les rituels d’initiation à la flûte auxquels ils ont assisté — rituels décrits ensuite en détail dans Sex & Temperament…. avaient commandités ! Nancy McDowell, qui a étudié les notes de terrain inédites de Mead et mené sa propre enquête en pays Biwat en 1972-1973, a formulé une critique de certaines de ses interprétations. Elle en expose les conclusions dans The Mundugumor, from the Field Notes of Margaret Mead and Reo Fortune, paru en 1991. Puis, on pourrait encore citer les missionnaires Henry Aufenanger et Karl Laumann, plus récemment Christian Coiffier… qui ajouteront des précisions sur les objets Biwat.

Mais c’est Margaret Mead qui, la première, a parlé des flûtes sculptées qui jouent un rôle majeur dans les initiations… à suivre


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