
J’ai lu il y a dix ans de cela, Ce qu’il advint du sauvage blanc, un ouvrage de François Garde ; histoire romancée du mousse Narcisse Pelletier, abandonné sur les côtes australiennes alors qu’il n’a que 14 ans en 1858. Je n’avais pas à l’époque fait le lien avec le destin tragique des passagers du navire qui le transportait, le Saint-Paul qui convoyait principalement depuis Hong-Kong plus de 300 coolies chinois vers les champs aurifères australiens du Queensland.
En septembre 1858, le navire s’échoue sur un récif corallien de l’archipel de la Louisiade.

Les Louisiades sont constituées d’un petit paquet d’îles au sud-est de la Papouasie Nouvelle-Guinée et parmi elles, se trouve Rossel maintenant appelée Yela, une terre volcanique et montagneuse entourée d’un récif corallien. L’île fut longtemps évitée car célèbre pour avoir été le théâtre du naufrage du Saint-Paul et des actes de cannibalisme qui s’en suivirent. Sur le sujet, le récit de Col Davidson : The Saga of the Saint Paul fait froid dans le dos…(cf. aussi l’article du Tour du Monde, 1861 cité plus haut).
L’archipel doit son nom à Bougainville passé là en 1768 et qui le baptisa ainsi en l’honneur du roi de France. Quelques années plus tard, à l’été 1792, c’est Antoine Bruny d’Entrecasteaux qui est dans les parages et collecte quelques rares objets dessinés par La Billardière et perdus de nos jours :

Depuis ces évènements, de nombreuses recherches archéologiques ont été menées sur Rossel mais aussi des études sur le système monétaire unique en son genre. L’anthropologue britannique W.E. Armstrong fut le premier à écrire sur le sujet lors d’un séjour de deux mois sur l’île en 1921. Il a analysé le réseau complexe des relations sociales, des échanges et par suite des monnaies.
Un premier article est paru en 1924: « Rossel Island Money: A Unique Monetary System » in The Economic Journal, Vol. 34, No. 135 ; puis un ouvrage : Rossel Island : An ethnological Study en 1828.
Le système est ardu à comprendre. L’ethnologue y décrit plus de vingt classes de coquillages utilisés dans des rituels de paiement tels que le prix de la fiancée, les festins de cochons, la construction de maison ou de bateau, les échanges funéraires et autrefois dans les compensations pour actes de cannibalisme. Des grands hommes monopolisaient ainsi les coquillages de plus grande valeur, contrôlaient les échanges et dominaient la vie sociale.
Plus précisément et d’après E. W. Armstrong, il existait 2 types de monnaies appelées Ndap et Kô : les Ndap sont des coquilles plates et arrondies fabriquées à partir de spondylus tandis que les Kô sont des ensembles de 10 disques de coquilles attachés sur une ficelle. Les Ndap étaient exclusivement des monnaies d’hommes, les Kô pouvaient être détenues pas des femmes.
Il existe de plus une hiérarchie subtile dans les Ndap. Rangés en 22 classes, seuls les spécimens des classes supérieures étaient considérés comme sacrés et étaient connus par des noms individuels.
De nos jours les Kô sont toujours fabriquées ainsi que des ndap de rangs inférieurs. Pour plus d’explications, il faut se référer à l’article de John Liep, de l’université de Copenhague : Rossel Island valuables revisited in The Journal of the Polynesian Society Vol. 104, No. 2, June 1995 qui fait une synthèse des travaux de Armstrong et Berd (cf.article de ce dernier : Stuart Berd : « Contemporary notes on Rossel island valuables » in The Journal of the Polynesian Society Vol. 82, No. 2, juin 1973) et apporte des corrections et clarifications.
John Liep dresse un tableau complet du système car outre les ndap et kô, il existe encore des objets de valeur qui circulent : des lames de haches, des spatules à chaux et des colliers de coquillages qui peuvent aussi être échangés dans toute la région Massim.
Son ouvrage Liep, J., 2009. A Papuan Plutocratie. Ranked exchange on Rossel island Aarhus Univ. Press Denmark est une somme sur le sujet. Sur la photographie de la couverture de son livre (cf. plus haut), on distingue des lames et des colliers cohabitant avec les coquillages.
