L’atlas de La Billardière

Jacques-Julien Houtou de La Billardière est un naturaliste français dont sa biographie est parfaitement résumée dans l’article de A. Chevalier : Un grand voyageur naturaliste normand. À la suite de mon précédent article, il nous intéresse plus particulièrement de par sa présence sur la Recherche auprès d’ Antoine Bruny d’Entrecasteaux.

L’expédition d’Entrecasteaux renoue avec les grands voyages maritimes scientifiques. Pour résumer, ce sont plus de 200 marins et 12 savants qui sont du voyage à bord de La Recherche et de L’Espérance, ce dernier vaisseau étant commandé par Jean-Michel Huon de Kermadec. Les navires atteignent la Nouvelle-Hollande (Australie) et en font le tour en 1792. La flotte repart plein Nord, car des uniformes français portés par des insulaires semblent avoir été aperçus dans l’archipel Bismarck. Première étape, les  îles Salomon, passant sans le savoir très près de la zone du naufrage de La Pérouse. En 1793, d’Entrecasteaux refait un tour de l’Australie sans toutefois repérer la moindre trace de La Pérouse porté disparu depuis janvier 1788. Puis, l’expédition poursuit sa route vers l’Est. Les équipages sont épuisés, divisés sur la stratégie du commandant et souvent menacés par les autochtones lorsqu’ils souhaitent aborder une île. D’Entrecasteaux, atteint de scorbut, meurt en mer en juillet 1793, après la mort en mai de Huon de Kermadec. Élisabeth-Paul-Édouard de Rossel commande L’Espérance et Alexandre d’Hesmivy d’Auribeau, La Recherche. Ils décident de naviguer en direction de Surabaya. Mais la France est en guerre avec la Hollande et ils sont retenus prisonniers. Les deux hommes, royalistes de conviction, décident de se mettre sous la protection de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, les Hollandais saisissent donc les deux  navires…

À bord, deux hommes retiennent particulièrement notre attention : La Billardière mais aussi l’artiste Jean-Hubert Piron à qui l’on doit de nombreux dessins du voyage et dont La Billardière exécutera les gravures une fois rentré en Europe. Piron est très malade à Surabaya et est certainement décédé sur place.

Piron, contrairement à La Billardière, ne dessine pas beaucoup d’artefacts mais des personnages et des paysages, et ce sont de fabuleux témoignages en ce sens.

Homme de Balade, Nouvelle-Calédonie
© Musée du Quai Branly PF0178521

Homme des îles de l’Amirauté
© Musée du Quai Branly Z687965

Vouacécé, Habitant de Fidgi

© Musée du Quai Branly  Z694606

Homme de Cap Diemen (mais prob. Kanak)
© Musée du Quai Branly PF0178517

Quant à La Billardière, il va rédiger La relation du voyage à la recherche de La Pérouse…. et l’illustrer par un atlas reprenant ses dessins et ceux de Piron. Ces deux ouvrages sont consultables sur Gallica.

Soit par exemple trois planches d’artefacts des îles des Amis (Tonga) tirées de cet Atlas :

Ces sources ont donc été très précieuses lors de la recherche dans les collections publiques actuelles d’objets issus des collectes de La Billardière. C’est une partie du travail réalisé par toute une équipe qui, sous la direction de Fanny Wonu Veys, Bronwen Douglas et Billie Lythberg, a édité l’ouvrage Collecting in the South Sea. The voyage of Bruni d’Entrecasteaux 1791-1794 , études qui dépassent largement les seules collections de La Billardière.

Mais revenons aux caisses de notre naturaliste. Où sont-elles passées ? Les collections des savants sont confisquées en octobre 1793. D’Auribeau meurt en 1794, et c’est Rossel qui va s’occuper des caisses. En bon royaliste, il considère, non pas qu’elles appartiennent à la France, mais qu’elles sont la propriété du roi.

Il attend ainsi qu’un convoi néerlandais de la Compagnie des Indes orientales rentre en Hollande pour les ramener, mais les navires sont déjà extrêmement chargés, le nombre de caisses à rapporter en Europe sera donc réduit. Des spécimens d’histoire naturelle et des artefacts sont ainsi restés à Surabaya. 52 caisses embarquent à bord de 5 bateaux du convoi néerlandais. Malheureusement, l’un des bateaux de la flotte va faire naufrage, et entre temps, nous sommes au printemps 1795, la République batave, soeur de la France révolutionnaire a été proclamée, et par conséquent les Anglais se retournent contre la Hollande et arraisonnent ses navires.

Rossel et les caisses restantes se retrouvent à Londres en novembre 1795. La collecte est en douanes. Si elles sont destinées au roi de France, il est alors logique qu’elles soient données au duc d’Harcourt résidant alors à Londres et représentant le comte de Provence, proclamé roi Louis XVIII cette même année. Celui-ci va offrir tous les contenants d’histoire naturelle à la Reine d’Angleterre. Mais celle-ci n’a guère besoin de cet encombrant cadeau, et demande à Joseph Banks de lui constituer un herbier, et lui offre le reste.

Les mois passent et La Billardière, enfin relâché et de retour en France en 1796, réclame ses collectes. Banks, alors président de la Royal Society, lui répond qu’il fait son possible pour lui envoyer les caisses, il tient promesse et les adresse la même année au jardin des Plantes. Mais où vont-elles arriver ?

La Convention a voté en 1793 la réorganisation du Jardin des Plantes et a créé le Muséum d’Histoire Naturelle. Où allons-nous retrouver les artefacts ? Pour la première fois on songe à séparer Naturalia et Artificialia. Le projet de Museum des Antiques où ces derniers aurait pu trouver place est abandonné. La culture matérielle des Autres ne semble intéresser personne et beaucoup d’objets se sont probablement perdus, probablement lors des transports successifs, puis dans un long oubli dont on commencera à émerger avec la création du musée de la Marine en 1829. Ce dernier comprendra le Cabinet de Vivant Denon, les collections rapportées par Dumont d’Urville, les objets des expéditions de Freycinet et de Duperrey, et enfin quelques objets déposés à la Bibliothèque Nationale (dont des objets originaires de la bibliothèque Ste Geneviève et du Museum d’histoire naturelle). Il faudra attendre 1878, pour que la création d’un musée d’ethnographie soit actée.

Sur ces derniers points, on lira avec intérêt des articles et ouvrages de Bertrand Daugeron :

Daugeron Bertrand, 2009, Collections naturalistes entre science et empires : 1763-1804, Paris : Publications scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle

Daugeron Bertrand, 2009, “Entre l’antique et l’exotique, le projet comparatiste oublié du « Muséum des Antiques » en l’an III” in Annales historiques de la Révolution française 356. Consultable en ligne.

Daugeron B., 2011, “La paradoxale disparition des objets de type ethnographique rapportés par les Français du Pacifique (1766–1842)” in The Journal of Pacific History 46, 1.

à suivre…

4 commentaires sur “L’atlas de La Billardière

Ajouter un commentaire

  1. En plus de « Collecting in the South Seas » qui renvoie à nombre de publications se référant à des re-découvertes récentes, il conviendrait de mentionner les éditions fr et angl du Muséum du Havre qui abrite un fonds considérable de documents de Lesueur et sans doute d’autres dessinateurs, particulièrement intéressant puisque s’y trouvent les croquis, les dessins aboutis et les gravures souvent manipulées qui en sont tirées.
    Cordialement
    RKr

    J’aime

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑