
Après la tentative d’installation des missionnaires espagnols et leur départ en 1775, les autres Européens à vivre assez longtemps en Polynésie furent les mutins de La Bounty qui choisirent de ne pas suivre Fletcher Christian sur l’île de Pitcairn. La révolte avait eu lieu le 28 avril 1789 à 1300 miles à l’ouest de Tahiti et le capitaine Bligh fut lâché sur une chaloupe avec 20 membres d’équipage. Celle-ci entama un incroyable périple avec pour seule aide, un quadrant et une montre, jusqu’au Timor qu’elle atteignit en juin 89.
Les 21 mutins et les 4 hommes, toujours loyaux à Bligh cependant contraints de rester à bord, cherchèrent à s’établir dans les Australes, mais ayant été repoussés par les autochtones, ils retournèrent à Tahiti. Ne voulant pas être arrêté par la Royal Navy britannique, Fletcher partit avec 8 mutins et des hommes et femmes tahitiens aux îles Pitcairn… et on connaît cette partie de l’histoire. Mais que devinrent les hommes restés à Tahiti ?
Deux mutins moururent avant que le Capitaine Edwards à la tête de La Pandora dépêchée pour rechercher les mutins n’arrivât en mars 1791 ! Les autres furent rapidement arrêtés, puis pour le voyage de retour, emprisonnés dans une cellule de fortune sur le pont de La Pandora, qu’ils appelaient par dérision « la boîte de Pandore ». Amère ironie et piège fatal puisque le bateau coula aux abords du détroit de Torres et seulement 10 prisonniers survécurent au naufrage. Ils arrivèrent en Angleterre en 1792.

Les mutins restés à Tahiti avaient donc vécu dans l’île durant 2 ans avant leur arrestation par le Capitaine Edwards et 3 d’entre eux tinrent des journaux : Peter Heywood qui réalisa 80 dessins. Il avait 17 ans à la date de la mutinerie. Il ne fut pas considéré comme l’un des meneurs de la mutinerie, ce qui lui valut une certaine indulgence pendant le procès.
James Morrison, second maître d’équipage qui avait 27 ans à l’époque. Il avait écrit un journal sur la vie dans l’ïle et la royauté ; il fut condamné à mort puis gracié.
Enfin, George Stewart, aspirant. Détenu contre son gré sur La Bounty, il fut tué a lors du naufrage de La Pandora le 29 août 1791.
Malheureusement, les 3 journaux furent perdus avec La Pandora… Néanmoins, Morrison réécrivit son journal en 1792 à Portsmouth dans l’attente de son procès et Peter Heywood rédigea une grammaire et un vocabulaire sur le langage tahitien. Mais le destin de ces documents, et notamment celui du journal de Morrison allait s’avérer être particulièrement mouvementé. Recueillis par William Howell, l’aumônier des marins de Portsmouth, les originaux disparurent mais une copie existait fort heureusement. Le journal de Morrison posait problème car son attaque contre Bligh était virulente et il était impossible de le publier en l’état. Les documents restèrent dans les mains de Howell…

Aussi, au début de l’année 1796, lorsque Thomas Haweis, l’un des fondateurs de la toute récente Missionary Society (qui deviendra la LMS), souhaita réunir toutes les informations possibles sur Tahiti, il contacta Howell et fut impressionné par la qualité des documents en sa possession. Howell les mit à la disposition de Haweis qui produisit un manuscrit plus méthodique du journal de Morrison et une copie complète de la grammaire et du vocabulaire de Heywood. D’autre part, le pasteur Samuel Greatheed, lui aussi très impliqué lors de la création de la congrégation, composa une très sérieuse compilation sur les Iles du Pacifique à partir des connaissances de l’époque.
Lorsque l’offre du capitaine James Wilson de transporter un groupe de missionnaires à Tahiti sur Le Duff devint bien concrète en 1796, les 30 missionnaires de la LMS décidés à partir s’installer dans le Pacifique Sud avec leurs familles, avaient donc de sérieux documents en main avant de commencer leur implantation…
La plupart des missionnaires débarquèrent à Tahiti en mars 1797.
Le Journal de Morrison a fait l’objet d’une Publication de la Société des Océanistes 16 en 1966. Il est consultable en ligne sur le site de la Mitchell Library Sydney.
Le Peter Heywood’s Tahitian Vocabulary and the Narratives by James Morrison est consultable dans de nombreuses bibliothèques universitaires en Australie.
Photo 1 : Les mutins du Bounty © Robert Dodd, 1790 US National Maritime Museum.
Photo 2 : The crew of H.M.S. “Bounty” landing at Otaheite in The Sea. Its Stirring Story of Adventure, Peril & heroism – F. Whymper – © T.D.R
Photo 3 : J. M. Kronheim and Company :The missionary ship « Duff » arriving [ca 1797] at Otaheite. [Printed by] Kronheim and Co. London [1820s?]. Reference Number: A-118-003, National Library of New Zealand.