
Sur la gravure des « trophées » du Révérend Williams, deux objets provenant de Rarotonga méritent notre attention : le grand bâton copieusement enroulé (1) et la petite figurine ventrue (11). Ce petit personnage massif, privé de ses attributs sexuels, aurait été placé à la proue des pirogues de pêche et serait considéré comme une représentation du « dieu des pêcheurs ».
Cette figurine avait fait l’objet d’une fiche élaborée par l’anthropologue Edge-Partington, objet numéroté LMS36, provenant du groupe Hervey, ancien nom des îles Cook, connu sous le nom de Fishing God de Rarotonga. Sur cette fiche, il se réfère à W. Ellis qui a produit une gravure célèbre dans son ouvrage de 1829, où ce dieu des pêcheurs est illustré. (ci-dessous).
J’ai évoqué comme source importante Peter Henry Buck (et nous allons y revenir) mais il faut également noter le nom de missionnaires qui ont recueilli très tôt des informations sur les traditions anciennes en Polynésie, et notamment celui de John M. Orsmond, dont le témoignage direct a disparu mais qui a été reconstitué en partie par le travail de sa petite-fille, Teuira Henry, (Tahiti aux temps anciens). William Ellis fut également un missionnaire qui vécut à Tahiti entre 1817 et 1822 mais qui arrivait après les conversions des populations au christianisme…
L’exemplaire LMS 36 n’est pas unique. Le British Museum et le Peabody Museum possèdent chacun un « dieu des pêcheurs », représentations intéressantes pour leurs motifs sur le corps, probablement la référence à des tatouages, des motifs que l’on retrouvait également sur les grandes étoffes d’écorce.


Ces dieux des pêcheurs sont stylistiquement très reconnaissables (et nous allons retrouver ces critères sur les autres sculptures de Rarotonga) par la présence d’une tête massive au large front, aux yeux démesurément grands se composant de 4 éléments de forme elliptique bien creusés. La bouche est constituée, elle aussi, de 4 lignes courbes et les oreilles forment des ellipses saillantes. Le ventre quant à lui est distendu avec un nombril en relief. Le phallus est présent, mais sur certains exemplaires, il a été amputé par des missionnaires ou de récents chrétiens trop zélés vis-à-vis de la nudité.
Ces deux exemplaires ont été étudiés par Buck que l’on retrouve dans ses méticuleuses planches illustrées.
Récemment, j’ai découvert d’autres « dieux des pêcheurs » dans les beaux musées d’Edimbourg et de Norwich, hélas sans tatouage :


Photo 1 : Dieu des pêcheurs LMS 36 © British Museum.
Photo 2 : Fiche de Edge-Partington sur LMS 36 © British Museum.
Photo 3 : Idols. Worshipped by the inhabitants of the South Sea Islands in Ellis, W. Polynesian researches, during a residence of nearly six years in the South Sea Islands, London : Fisher, Son, & Jackson, 1829.
Photo 4 : Dieu des pêcheurs AOA 9866 © British Museum.
Photo 5 : Dieu des pêcheurs 99-12-70/53517 © Peabody Museum Harvard.
Photos 6 et 7 : Figures 192 et 193 © William Ellis in Arts & Crafts of the Cook Islands.
Photos 8 et 9 : Dieux des pêcheurs, photo de l’auteure, Musée d’Edimbourg et de Norwich.